Cabanis, Pierre-Jean-Georges

( b. Cosnac, Corrèze, France, 5 juin 1757; d. Rueil, près de Paris, France, 5 mai 1808),

philosophie, médecine, histoire et sociologie de la médecine.

Le père de Cabanis était un propriétaire terrien qui s’intéressait aux innovations et aux expériences agricoles. Il était également un ami de Turgot et c’est par ce dernier que le jeune Pierre Cabanis fut introduit, en 1771, dans la société parisienne, après avoir étudié dans les écoles locales dirigées par l’église. De 1773 à 1775, Cabanis vécut en Pologne en tant que secrétaire du prince Massalsky, évêque de Vilna. De 1777 à 1783, il étudie la médecine à Saint-Germain-en-Laye, sous la direction d’un médecin réputé, Léon Dubreuil. Le 22 septembre 1784, Cabanis devint docteur en médecine à Reims. De 1785 à 1789, il vit dans le voisinage immédiat de Mme Helvétius à Auteuil et fréquente souvent son salon, où il se lie d’amitié avec Volney et Dominique Garat. Ce sont eux qui, après la prise de la Bastille par le peuple de Paris, le présentèrent à Mirabeau, dont il devint le médecin.

Fort de ses Observations sur les hôpitaux (1790), Cabanis est nommé membre de la Commission de Réforme des Hopitaux (1791-1793). En 1792, Condorcet s’installe à Auteuil, et lui et Cabanis deviennent des amis très proches. Cabanis a aidé Condorcet à échapper à la poursuite de la Convention, bien que Condorcet ait finalement échoué. (Arrêté le 27 mars 1794, il s’empoisonne deux jours plus tard.) En 1796, Cabanis épouse Charlotte de Grouchy, sœur de Mme Condorcet et d’Emmanuel de Grouchy.

En 1794, la Convention avait organisé les Écoles Centrales, créées par un décret de 1793, et Cabanis fut nommé professeur d’hygiène. En 1795, il est élu membre de l’Institut de France, dans la classe des sciences morales. À la suite de la création des Écoles de Santé, qui remplacent les Facultés de Médecine de Paris, Montpellier et Strasbourg, Cabanis occupe successivement, à Paris, les postes de professeur adjoint à l’École de Perfectionnement, d’assistant de Corvisart à la chaire de médecine interne, et de professeur titulaire à la chaire d’histoire de la médecine et de médecine juridique.

En 1797, Cabanis est élu au Conseil des Cinq-Cents. Il approuve le coup d’État de Bonaparte du 18 Brumaire et est nommé sénateur. Mais ses relations avec Bonaparte, en tant que premier consul puis empereur des Français, se détériorent à cause de la méfiance et de l’hostilité mutuelle. Cabanis s’abstint d’assister aux séances du Sénat. Le 22 avril 1807, Cabanis subit sa première attaque d’apoplexie. Il meurt le 5 mai 1808, à l’âge de cinquante ans et onze mois.

Cabanis a appliqué la médecine à la philosophie et la philosophie à la médecine d’un point de vue purement théorique, même lorsqu’il agissait en réformateur.

En tant que philosophe, Cabanis a cherché en médecine un instrument d’analyse des idées, c’est-à-dire de reconstruction de leur genèse. Son ouvrage philosophique fondamental, Rapports du physique et du moral de l’homme, est présenté comme ” de simples recherches physiologiques.”1 Il est composé de douze Mémoires (dont les six premiers ont été lus pour la première fois lors des sessions de l’Institut) rassemblés en un seul volume en 1802. Dans cet ouvrage, Cabanis expose une psychologie et un système éthique basés sur les effets nécessaires de l’organisation d’un animal sur ses relations avec son environnement. Même la perfectibilité illimitée de l’espèce humaine, qui la rend “capable de toutes choses”, découle du fait que ” l’homme est sans aucun doute le plus soumis à l’influence des causes extérieures.” 2

Encore plus que ses amis les Idéologues — Antoine Destutt de Tracy, Joseph Garat, Marie-Joseph Degérando, Pierre Laromiguière — Cabanis jugeaient trop abstraite et limitée la méthode d’analyse de Condillac, qui considérait toutes les fonctions psychiques comme des transformations de sensations.3 La sensation, soutenait-il, ne peut être étudiée isolément des besoins organiques et de la sensibilité (au sens physiologique du terme) dans ses relations avec l’irritabilité motrice.

En tant que médecin, Cabanis a examiné, dans le septième mémoire des Rapports, l’influence des maladies sur la formation des idées et des valeurs. Le texte est un résumé de ses conceptions physiologiques et médicales. C’est sans originalité, notamment en ce qui concerne la théorie des fièvres. Pourtant, cela nous aide à comprendre l’importance qu’il accordait, d’un point de vue moral et social, au perfectionnement de l’art de la médecine, “la base de toutes les sciences morales.” Empruntant le mot aux philosophes allemands, Cabanis a appelé la science de l’homme anthropologie, la jonction méthodique de l’histoire physique et de l’histoire morale de l’homme.4

À l’époque des ” Lumières “, toute la philosophie en France se confondait avec la politique. La philosophie médicale de Cabanis ne faisait pas exception. En cherchant les moyens les plus rationnels de rendre les hommes plus raisonnables par l’amélioration de la santé publique, Cabanis cherchait simultanément à rendre les médecins plus compétents et plus efficaces par la réforme de l’instruction médicale. La réorganisation des hôpitaux semblait répondre à cette double exigence. Ceci explique l’intérêt de Cabanis pour la question, qui concerne à la fois la santé publique et la pédagogie médicale.

En 1790, Cabanis publie ses Observations sur les hôpitaux, dans lesquelles il préconise l’établissement de petites unités hospitalières en dehors des grandes villes car, selon lui, les grands hôpitaux empêchent les soins individuels, sont propices à la propagation de maladies contagieuses, et rendent finalement impossible ” la réalisation du but pour lequel ils ont été fondés.”À partir de ce moment, Cabanis souhaitait qu’il y ait des écoles de médecine pratiques annexées aux hôpitaux, sur le modèle de la clinique d’enseignement fondée par Gerard Van Swieten à Vienne, où les cours étaient donnés à l’hôpital et “ce sont les différentes maladies qui servent de manuel.”

Le Du degré de certitude de la médecine de Cabanis (1798) contient une défense de l’empirisme médical enrichie d’une histoire de la pratique médicale à travers les siècles; dans ce récit, le concept hippocratique de la nature est une fois de plus primordial, et la conclusion la plus claire consiste dans le rejet des systèmes théoriques. Ce rejet repose sur la conviction philosophique que l’esprit humain, incapable de découvrir des causes, doit se contenter d’organiser, sans idées préconçues, des relations de faits.

Malgré son titre, Coup d’œil sur les révolutions et sur la réforme de la médecine (écrit en 1795, publié en 1804), l’œuvre principale de Cabanis le médecin, reste un traité purement spéculatif. Une histoire de la médecine, retracée par Cabanis au début du livre (ch. 2), lui permet d’affirmer que la succession des systèmes nosologiques et l’application erronée d’autres sciences (physique, chimie, mathématiques) à la médecine ont discrédité l’art de la guérison. Les révolutions en médecine, dit-il, n’ont été que des révolutions d’idées et n’ont fait qu’engendrer le scepticisme du public et l’arrogance des charlatans. Une réforme efficace est désormais indispensable. La nouvelle doctrine médicale sera constituée par les relations d’ordre et de séquence logique établies entre des tableaux méthodiquement rassemblés d’observations et d’expériences. Ces relations seront extraites par analyse philosophique, combinant les deux procédures de décomposition et de recomposition. De même, l’instruction médicale doit être donnée selon la méthode d’analyse. Cabanis déclare qu’il attache la plus grande importance à la réalisation de ” recueils complets d’observations sur toutes les infirmités humaines “5 et à leur comparaison, dans les écoles cliniques rattachées aux hôpitaux.

Bien que Cabanis ait perçu, après ou avec beaucoup d’autres — Vicq d’Azyr et Jacques Tenon, par exemple — que l’hôpital était le lieu où la réforme de la médecine devait se produire, il ne comprenait pas que cette réforme n’était pas seulement une réforme d’observation. En rendant possible la consultation permanente de nombreux cas de maladies identifiés par le recoupement des examens cliniques et des autopsies anatomopathologiques, l’hôpital a détrôné la pratique séculaire de l’observation individuelle des malades.

Bien qu’il fût un ami de Condorcet, Cabanis ne comprenait pas le sens et l’intérêt des recherches de ce dernier dans l’application des mathématiques des probabilités à l’analyse des faits sociaux. La méthode statistique appliquée, sur un grand nombre de cas, à la relation entre symptôme et lésion, voire aux effets d’un certain traitement, se révélera, dans un avenir proche, plus pertinente et plus efficace comme instrument d’analyse que l’analyse génétique des idées héritées de Condillac. Au moment même où la France de la Révolution, du Consulat et de l’Empire, sous la direction de Pinel et Corvisart, expérimentait avec succès de nouvelles pratiques dans ses hôpitaux, Cabanis, apparaissant comme un réformateur de la santé publique et de la pédagogie médicale, restait un théoricien d’une médecine classique à peine réformée.

NOTES

1. Préface à la 1ère édition. (1802).

2. Mémoire 8, § 3.

3. Mémoire 10, sec, II. § II.

4.Coup d’oeil sur les révolutions et sur la réforme (It la mé décine, ch. 1.§2.

5.Ibid., ch. 4. § 4.

BIBLIOGRAPHY

I. Original Works. Cabanis’s writings include Observations sur les hôpitaux (Paris, 1790); Journal de la maladie et de la mort d’H.-G.-V. Riquetti Mirabeau (Paris, 1791); Du degre de certitude de la medecine (Paris, an VI );Rapports du physique et du moral de I’homme, 2 vols, (Paris, an X ; 2nd ed., an XIII ); Coup d’oeil sur les revolutions et sur la réforms de la médecine (Paris, an XII ); and Lettre (posthume et inédite) de Cabanis à Mr. F. sur les causes premières (Paris, 1824).

Ces œuvres ont été rassemblées, avec de nombreux articles, discours, rapports, éloges et notices, dans Œuvres complètes de Cabanis. François Thurot, éd., 5 vols. (Paris, 1823-1825) ; et Œuvres philosophiques de Cabanis, C. Lehec et J. Cazeneuve, éd., 2 vols. (Paris, 1956), qui est le Corpus Général des Philosophes François, XLIV, 1.

II. Littérature secondaire. Cabanis ou ses travaux sont discutés dans E. H. Ackerknecht, Médecine à l’Hôpital de Paris 1794-1848 (Baltimore, 1967); F. Colonna d’Istria, “Cabaniset les origines de la vie psychologique,” in Revue de métaphysique et de morale (1911), 177 ff.; “Les formes de la vie psychologique et leurs conditions organiques selon Cabanis,” ibid. (1912), 25 ff.; “L’influence du moral sur le physique d’aprés Cabanis et Maine de Biran,” ibid (1913), 451 ff.; “La logique de la médecine d’aprés Cabanis,” ibid. (1917), 59 ff.; J. M. Guardia, Histoire de la médecine d’Hippocrate à Broussais et à ses successeurs (Paris, 1884), pp. 218–227, 442–453; A. Guillois, Le salon de Mme. Helvétius. Cabanis et les Idéologues (Paris, 1894); Pierre-Louis Ginguené, “Cabanis,” in Michaud, ed., Biographie universelle, VI (Paris, 1812) 426–433; P. Janet, “Schopenhauer et la physiologie franqaise, Cabanis et Bichat,” in Revue desdeux-mondes (I May 1880), 35 ff.; M. Laignel—Lavastine,”La médecine Françoise sous la Revolution,” in Progrè smedical (1935), no. 3, 115 ff.; and C. Lehec and J. Cazeneuve, introduction to their ed. of Oeuvres philosophiques de Cabanis, vol. I (Paris, 1956).

Georges Canguilhem

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.