CMP

Le cancer colorectal (CRC) est l’un des cancers les plus fréquents chez les adultes et résulte des effets cumulatifs des susceptibilités génétiques héréditaires et des expositions environnementales. Ces deux ensembles de facteurs interagissent pour provoquer un CRC en induisant ou en permettant l’accumulation progressive de mutations génétiques (telles que celles de l’APC, le gène suppresseur de tumeur “gardien”) et d’altérations de l’épigénome (telles que la méthylation aberrante de MGMT ou CDKN2A). L’importance de l’accumulation de mutations génétiques multiples dans la cause du cancer du côlon est mise en évidence par le fait que le cancer du côlon peut être divisé au niveau moléculaire en au moins deux catégories moléculaires distinctes en fonction des types de mutations observées. Ces deux catégories sont le groupe d’instabilité chromosomique (CIN), qui se caractérise par la présence d’aneuploïdie, de translocations chromosomiques et de gains et pertes chromosomiques, et le groupe d’instabilité microsatellitaire (MSI), qui se caractérise par la présence de mutations à décalage de cadre dans des éléments répétitifs de l’ADN appelés répétitions microsatellites. Ces sous-groupes moléculaires de tumeurs ont des fréquences de mutation différentes pour certains gènes tels que TP53 et BRAF, et présentent des caractéristiques cliniques uniques, telles que la tendance des tumeurs MSI à se produire du côté droit du côlon et à avoir un comportement clinique moins agressif que les tumeurs CIN.1

Récemment, une attention considérable a également été portée au rôle des altérations épigénétiques des gènes candidats suppresseurs de tumeurs dans la pathogenèse moléculaire du CRC. Il est bien connu que l’expression des gènes peut être affectée par la méthylation du promoteur génique et la structure de la chromatine du locus génique, qui sont des facteurs épigénétiques qui régulent l’expression des gènes. En particulier, la méthylation aberrante de l’ADN insulaire CpG dans les promoteurs de gènes est un phénomène courant dans de nombreux types de cancer, y compris le cancer gastro-intestinal, et réduit au silence l’expression des gènes suppresseurs de tumeurs. Pratiquement tous les cancers du côlon présentent au moins un faible niveau de méthylation aberrante de l’ADN, et un sous-ensemble d’environ 15 à 20% des cancers du côlon présentent un niveau élevé de gènes anormalement méthylés.2

L’observation selon laquelle un sous‐ensemble de cancers du côlon semblent généralement méthyler des gènes a conduit le groupe de recherche de Jean-Pierre Issa à proposer qu’il existe un sous-groupe moléculaire distinct du CRC ayant un phénotype hyperméthylateur.3 Ce trait distinct de méthylation génique excessive a été appelé phénotype du méthylateur de l’île CpG (CIMP) et est considéré comme un sous-groupe moléculaire distinct du CRC qui est fondamentalement différent des autres cancers du côlon. Il est à noter que l’existence de CIMP a fait l’objet d’une controverse importante dans ce domaine, car il n’a pas été clair si CIMP reflète simplement l’extrémité d’une distribution continue de tumeurs avec des gènes méthylés ou s’il s’agit d’un sous-groupe unique de CRC avec une étiologie moléculaire distincte.4,5 Il a été suggéré que l’identification d’un groupe de tumeurs fortement méthylées est une conséquence de la sélection biaisée des gènes méthylés et des limites des techniques d’analyse des données.5 En effet, l’information manquante nécessaire pour résoudre cet argument, la cause du CIMP, nous échappe toujours. Néanmoins, en 2006, Weisenberger et al ont apporté une contribution substantielle au domaine en identifiant un ensemble de gènes anormalement méthylés qui définissent clairement un sous-groupe de CRC avec une quantité excessive de gènes méthylés.2 En analysant 195 loci à l’aide d’essais PCR spécifiques à la méthylation quantitative MéthyLight sur des ensembles d’entraînement et de tests de CRC, ils ont déterminé qu’un ensemble de cinq gènes composé de CACNA1G, IGF2, NEUROG1, RUNX3 et SOCS1 pouvait identifier de manière fiable un sous‐groupe de CRC dont les caractéristiques précédemment rapportées étaient associées à une méthylation excessive de l’ADN (telles que les mutations BRAF et KRAS, MSI, la localisation du côlon proximal et la prépondérance féminine). L’identification de ce panel très performant réduira, espérons‐le, une partie de la confusion dans le domaine qui a résulté de des critères variés utilisés pour caractériser les tumeurs comme ayant un phénotype CIMP. En fin de compte, la sélection d’un panel cohérent de gènes méthylés qui désignent un groupe de CRC qui sont des “hyperméthylateurs” devrait aider les chercheurs à déterminer la cause profonde du CIMP en permettant de comparer plus facilement les études. Ceci est essentiel, car il existe une variété de mécanismes candidats pouvant être à l’origine de la CIMP, tels qu’un défaut fondamental dans les processus qui régulent la fidélité de la méthylation de l’ADN, un défaut génétique sous-jacent qui provoque une méthylation excessive de l’ADN, ou une susceptibilité aux “épimutagènes”, facteurs environnementaux proposés qui peuvent modifier le statut épigénétique des gènes.6,7 Une autre possibilité est que les tumeurs CIMP proviennent d’une cellule d’origine différente dans l’épithélium colique de celle des CRC non CIMP et que les altérations épigénétiques observées dans les cancers CIMP reflètent cette cellule souche cancéreuse alternative.8,9

Parallèlement aux efforts visant à identifier un panel de gènes capables d’identifier de manière cohérente les tumeurs CIMP, plusieurs groupes ont corrélé les caractéristiques moléculaires et cliniques des CRC avec le phénotype de l’hyperméthylateur. L’étude d’Ogino et al10 dans ce numéro de Gut (voir page 1564) fait partie d’une série d’études sur les CRC CIMP que ce groupe de recherche a récemment publiées, qui caractérisent les caractéristiques moléculaires des tumeurs CIMP. Ce groupe de chercheurs s’est activement engagé dans la définition plus approfondie des tumeurs CIMP au niveau moléculaire grâce à une évaluation exhaustive des CRC recueillies dans le cadre de l’Étude sur la santé des infirmières (n = 121 700 femmes suivies depuis 1976) et de l’Étude de suivi des professionnels de la santé (n = 51 500 hommes suivis depuis 1986).11,12 Ils ont utilisé des essais de MéthyLight pour évaluer l’état de méthylation du panel CIMP et de CDKN2A et CRABP1, et ont corrélé ces résultats avec l’expression de p27, COX‐2 et p53, et avec l’état de mutation du gène du récepteur du facteur de croissance transformant‐β de type II (TGFBR2).13,14,15,16,17,18,19 En utilisant des critères de méthylation des loci ⩾4/5 pour définir la CIMP, ils ont trouvé une diminution de l’expression nucléaire de p27 (CDKN1B / KIP1) dans ces tumeurs, en particulier dans les cancers avec absence d’expression de p53, ainsi qu’une diminution de l’expression de COX‐2 et une fréquence accrue de mutations du TGFBR2. La taille de la collection de CRC analysée par ce groupe leur a donné le pouvoir de stratifier les tumeurs sur plusieurs paramètres moléculaires et de trier les CRC en sous-groupes discrets en fonction de ces caractéristiques moléculaires. Ces résultats confirment davantage qu’il existe une catégorie de CRC unique au niveau de sa pathogenèse moléculaire. Cependant, les résultats ne fournissent toujours pas d’informations supplémentaires sur la cause sous-jacente de l’ICPE.

Maintenant, pour ajouter à cette base de connaissances évolutive sur les tumeurs CIMP, Ogino et al ont commencé à faire valoir qu’il existe un groupe de tumeurs présentant une quantité intermédiaire de méthylation aberrante de l’ADN, qu’ils ont appelée “CIMP‐low”. Sur la base d’un panel de marqueurs comprenant huit gènes (CACNA1G, CDKN2A, CRABP1, IGF2, MLH1, NEUROG1, RUNX3 et SOCS1), ils ont défini les tumeurs CIMP‐low comme des tumeurs avec > 1/8 et < 5/8 gènes méthylés, tels que mesurés par un panel de tests MéthyLight. Ils ont constaté que les tumeurs qui sont à faible PICC et qui ont de faibles niveaux de MSI sont fréquemment porteuses de MGMT méthylée. De plus, ils ont trouvé une relation inverse dans les tumeurs CIMP‐low entre MSI-high (> 40% des loci présentant MSI dans le panel de consensus NCI Bethesda) et MGMT méthylée. Ces résultats concordent avec les résultats antérieurs de ce groupe qui ont trouvé une corrélation directe entre les tumeurs à faible indice de CIMP et les mutations du sexe masculin et des KRAS, et soutiennent l’idée que les tumeurs à faible indice de CIMP constituent un autre sous‐groupe distinct des CRC (tableau 11).20

Tableau 1 Caractéristiques des CRC en fonction de l’état du PSEC
Caractéristiques Non-CIMP CIMP‐faible CIMP‐élevé
Localisation de la tumeur Distale > proximale Proximale > distale
Biais de genre Mâle = femelle Mâle > femelle Mâle < femelle
Statut de mutation BRAF Type sauvage Type sauvage Mutant
Statut de mutation KRAS Type sauvage Mutant Type sauvage
Statut d’instabilité génomique CIN Similaire au non-CIMP MSI est commun

Quelles sont les implications des résultats de cette étude et de ceux des études de CIMP en général pour notre compréhension de la pathogenèse du CRC? Il y a deux implications principales de CIMP et CIMP‐low pour notre compréhension actuelle de la biologie moléculaire du CRC. La première est que la découverte que le CIMP est probablement un véritable sous-groupe moléculaire du CRC soutient un autre concept en évolution concernant le cancer du côlon, ce qui suggère que certains CRC proviennent de polypes hyperplasiques plutôt que d’adénomes. Jusqu’à récemment, on croyait que seuls les polypes adénomateux tubulaires et tubulovilleux conventionnels avaient le potentiel de subir une transformation maligne; cependant, il semble maintenant également qu’un sous-ensemble de CRC puisse évoluer à partir de polypes hyperplasiques.21 Ces polypes hyperplasiques qui ont le potentiel de subir une transformation maligne semblent le faire en évoluant en polypes dentelés, qui peuvent ensuite se transformer en cancer. Ainsi, un sous-ensemble de polypes hyperplasiques semble avoir le potentiel de se transformer en adénocarcinomes par une séquence de progression du polype hyperplasique → adénome dentelé → adénocarcinome.21,22,23 Il est suggéré que les CRC résultant d’une voie polype hyperplasique → adénome dentelé → CRC ont une voie moléculaire et histologique unique par laquelle ils apparaissent.23 polypes dentelés présentent généralement des mutations CIMP et V600E BRAF, qui sont corrélées avec CIMP. Ces résultats suggèrent que les CRC CIMP proviennent de polypes dentelés, qui à leur tour peuvent provenir d’une cellule de type tige différente de la cellule d’origine qui donne naissance à des CRC se développant à partir d’adénomes tubulaires. En fait, Jass a appelé la voie du polype hyperplasique → adénome dentelé → CRC une voie méthylatrice.23 Si d’autres études peuvent confirmer qu’il existe une catégorie biologiquement unique de CRC présentant une CIMP faible, il faudra déterminer si ces tumeurs proviennent d’adénomes ou de polypes hyperplasiques, ou si elles suivent une troisième voie, actuellement non reconnue, vers le cancer du côlon. De toute évidence, il s’agit d’une piste d’investigation passionnante, mais des études supplémentaires sont nécessaires pour valider ces concepts.

La deuxième implication majeure des études sur les tumeurs CIMP et la suggestion d’une catégorie de tumeurs CIMP‐faible et d’une catégorie de tumeurs CIMP‐élevée est liée à la cause fondamentale de la méthylation aberrante de l’ADN dans le cancer. Les modèles actuels les plus fortement soutenus du mécanisme sous-jacent du CIMP sont que la méthylation aberrante de l’île CpG résulte d’un défaut génétique sous-jacent ou qu’elle résulte de l’effet des épimutagènes. Les causes génétiques possibles incluent des mutations activatrices dans les méthyltransférases de l’ADN (bien qu’il n’y ait aucun support à ce jour) ou des altérations dans les gènes qui contrôlent les mécanismes qui protègent l’ADN de la méthylation aberrante. Turker et al ont démontré qu’il peut y avoir des “centres de méthylation”, qui sont des séquences qui attirent les méthyltransférases de l’ADN, à partir desquelles la méthylation aberrante de l’ADN liée au cancer peut se propager dans des régions dont les “éléments limites” protecteurs ont été violés. Ce modèle soutient que la méthylation résulte de la dérégulation de facteurs locaux dans l’ADN cis (par exemple, les centres de contrôle de la méthylation, tels que les sites SP1 ou les éléments B1 en tandem) qui aboutissent à la méthylation aberrante des gènes suppresseurs de tumeurs. Cependant, un deuxième modèle est qu’il existe des expositions environnementales, appelées épimutagènes, qui peuvent provoquer une méthylation aberrante de l’ADN.24,25 En effet, Kikuchi et al ont démontré que l’exposition à la fumée de tabac est significativement associée à la méthylation du CDKN2A / p16 dans le cancer du poumon non à petites cellules, renforçant le rôle des agents environnementaux dans la médiation de cette classe d’altérations épigénétiques.26,27 Il est également probable que les altérations génétiques et épigénétiques puissent coopérer pour favoriser la formation de tumeurs et que la détection d’adénomes du côlon avec méthylation puisse identifier l’épithélium du côlon qui présente un risque important d’acquérir des altérations génétiques qui conduiront à la formation de tumeurs du côlon (c.-à-d. un défaut sur le terrain lié à l’exposition aux épimutagènes qui préparent le tissu à la formation de cancer).28,29

En résumé, la méthylation des îlots de CpG présente un intérêt particulier dans la formation du cancer, non seulement parce qu’il s’agit d’un mécanisme alternatif à la mutation génétique pour réduire au silence les gènes suppresseurs de tumeurs, mais aussi parce qu’il semble exister un sous-groupe unique de CRC qui présentent une méthylation excessive de l’ADN et ont des traits moléculaires et cliniques qui les distinguent des autres CRC. Ils peuvent également provenir d’une cause sous-jacente unique qui survient dans le cadre d’un processus de cancérisation sur le terrain qui prédispose les tissus à la transformation néoplasique.30,31,32,33 Le concept de cancers du côlon à pic‐faible et à pic‐élevé correspondrait bien à un modèle épimutagène de cancer à pic-PIC dans lequel le degré de PIC-PIC est le reflet du niveau d’exposition aux épimutagènes. Les études d’Ogino et al fournissent plus d’informations pour aider à mieux comprendre le CIMP et, espérons-le, informeront les études qui, à terme, identifieront le mécanisme responsable de la méthylation aberrante de l’ADN dans le cancer. Cependant, pour l’instant, ils introduisent une complexité supplémentaire dans un domaine de la biologie du cancer qui semble avoir plus de questions que de réponses.

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