Histoire : Le Baiser de Brâncuşi, au cœur de toutes les passions

Pour marquer la date de son anniversaire, Le 19 février 1876, Le Petit Journal raconte l’histoire d’une œuvre du sculpteur roumain Constantin Brâncuşi qui déchaîne de nombreuses passions, Le Baiser. Cette sculpture se trouve actuellement au cimetière du Montparnasse où elle a été scellée. Une guerre financière incroyable aux enjeux énormes oppose l’Etat français à une famille russe. Selon les connaisseurs, cette sculpture est actuellement la plus chère du marché de l’art mondial.

Les nombreux visiteurs qui, chaque jour, vont voir les célèbres tombes de Gainsbourg, Baudelaire ou Maupassant sont plutôt surpris de passer devant une étrange boîte en bois qui recouvre une pierre tombale. Sous cette boîte se trouve la célèbre œuvre de Brâncuşi ornant la tombe d’une jeune femme russe qui, jusqu’à récemment, était totalement inconnue. Elle s’appelle Tatiana Rachewskaia. Cette sculpture, Le Baiser, a attiré beaucoup d’attention car elle représente un couple si lié que les deux amants sont représentés comme entrelacés dans l’éternité d’un baiser. Une expression d’amour fou qui trouve un écho troublant dans l’histoire de cette jeune femme russe entourée d’une aura de mystère, que Brancusi a rendue, involontairement, aussi immortelle que son œuvre.

Qui était Tatiana Rachewskaia ?

Son histoire a connu une fin tragique, car la jeune femme s’est suicidée à Paris en 1910 à l’âge de seulement 23 ans. Les rumeurs vont bon train sur ce personnage énigmatique qui fascine et enflamme l’imagination. On dit qu’elle est une parente du grand Tolstoï, et elle apparaît même dans le roman de l’écrivain révolutionnaire Ilya Ehrenburg, Men, Years, Life. Elle est décrite comme une femme qui est allée en prison puis a fui à Paris pour étudier la médecine. C’est aussi là qu’elle est tombée amoureuse d’un médecin d’origine roumaine, Solomon Marbais. Un amour passionné est né ravageant tout sur son passage, et là encore nous ne pouvons que faire le lien avec la grande littérature russe qui, comme le veut la tradition, finira inévitablement dans le sang et les larmes. C’est la sœur du médecin qui, par un jour de pluie fin novembre 1910, trouva la jeune femme pendue dans sa chambre du boulevard de Port-Royal. C’est sa famille, venue spécialement de Russie, qui a eu l’idée d’ériger un monument unique à sa mémoire. Un ami du Dr. Marbais, Constantin Brâncuşi était encore inconnu à cette époque, n’étant qu’un simple apprenti, entre autres, du célèbre sculpteur Rodin. Brâncuşi venait de terminer une sculpture représentant deux amants enlacés, Le Baiser. Et le reste vous le savez

Fascination pour cette sculpture

Brâncuşi a réalisé de nombreuses copies de cette œuvre mais celle-ci est unique car elle représente les amants en entier et mesure 90 centimètres. De plus, son installation en plein air, où tout le monde peut le voir, lui confère une sensualité particulière. Ce tombeau, qui aurait été complètement ignoré dans d’autres circonstances, est devenu le lieu de rencontre des amoureux du monde entier, des couples clandestins qui peuvent se rendre à la sculpture pour célébrer discrètement la force de leur amour et ainsi jurer, de manière épique, un amour éternel. Personne n’en avait entendu parler depuis longtemps, jusqu’au jour où l’écrivain Marc-Edouard Nabe parlait dans son journal de l’amour passionné au pied de la sculpture sacrée, la remettant à l’honneur.

La bataille financière

Une fois achetée avec 200 francs à Brâncuşi, la valeur de l’œuvre établirait aujourd’hui de nouveaux records sur le marché de l’art. Tout a commencé le 4 mai 2005, lors d’une vente aux enchères de Christie’s à New York. L’Oiseau dans l’espace, une sculpture en marbre de Brâncuşi, a atteint la somme géante de 27,5 millions de dollars. Un record mondial pour une sculpture et un véritable sursaut de passion sur le marché de l’art. Six semaines plus tard, les héritiers de Tatiana Rachewskaia débarquent en Russie déterminés à faire valoir leurs droits et à récupérer la sculpture qui représente leurs espoirs les plus fous de faire fortune. Et le marchand d’art Guillaume Duhamel en est responsable. Sentant le grand coup, il se rend chez la famille pour les engager à se battre pour récupérer la sculpture. Son plan est de remplacer le Baiser dans le cimetière par une copie et de vendre l’original aux enchères. Le ministre français de la culture de l’époque, Renaud Donnedieu de Varbres, s’oppose fermement à cette idée.

L’œuvre et la tombe forment un tout comme ses deux amants enlacés

L’État français affirme que la tombe et le monument forment un tout indissociable. D’autre part, les avocats de la famille Rachewskaia affirment que l’œuvre existait avant d’être placée sur le monument et que Brâncuşi a été payé pour l’installer. Le 12 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté une nouvelle fois toutes les demandes de la famille. Pour eux aussi, l’œuvre est indissociable de la tombe sous prétexte que le monument vertical en pierre sur lequel repose le Baiser est signé de la main du maître et dédié spécialement à Tatiana à travers l’épitaphe suivante: “Chère chère chérie.”Tous les experts ne sont pas d’accord, mais certains disent que la signature n’appartiendrait pas au maître.

Que devient le Baiser aujourd’hui ?

Toujours sous surveillance vidéo, la sculpture de Brâncuşi inquiète les experts qui craignent que l’œuvre ne se détériore, ne soit vandalisée ou pire, ne soit volée. Ce serait une tragédie pour le marché de l’art et pour tous les admirateurs de l’œuvre du grand sculpteur. Une chose est sûre, Le Baiser n’appartient à personne jusqu’à la fin de cette bataille, car même les amoureux ne peuvent l’admirer librement en ce moment, loin des musées, comme beaucoup d’œuvres du grand joker Brâncuşi, qui regarde maintenant sûrement ce chaos avec un sourire ironique, un peu comme son compatriote, Cioran.

par Gregory Rateau, Rédacteur en chef Du Petit Journal Bucarest

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