Histoire naturelle
Enfance
Les degrés de maturation et de dépendance de la mère à la naissance sont évidemment des phénomènes étroitement liés. Les nouveau-nés primates ne sont ni aussi impuissants que les chatons, les chiots ou les rats, ni aussi développés que les gazelles, les chevaux et autres animaux vivants dans la savane. À quelques exceptions près, les jeunes primates naissent les yeux ouverts et sont entièrement pelés. Les exceptions sont les lémuriens souris (Microcèbes), les lémuriens doux (Hapalémur) et les lémuriens ébouriffés (Varecia), qui portent des nourrissons plus impuissants (altriciaux) et portent leurs petits dans leur bouche. La vie des primates étant péripatétique, il est axiomatique que les nourrissons doivent pouvoir s’accrocher à la fourrure de la mère; seules quelques espèces (encore une fois, les lémuriens souris et les lémuriens ébouriffés et quelques autres) laissent leurs nourrissons dans des nids pendant qu’ils se nourrissent, et les loris “garent” leurs petits, les laissant suspendus sous des branches dans des enchevêtrements de végétation. Les jeunes de la plupart des primates supérieurs ont des mains et des pieds agrippants à la naissance et sont capables de s’accrocher à la fourrure maternelle sans aide; seuls les humains, les chimpanzés et les gorilles ont besoin de soutenir leurs nouveau-nés, et les humains le font plus longtemps.
Il semble probable que la différence entre les singes africains et les humains en ce qui concerne la capacité de préhension postnatale soit liée à l’acquisition chez l’homme de la marche bipède. L’un des corrélats anatomiques de la démarche humaine est la perte de la fonction de préhension du gros orteil, qui est alignée en parallèle avec les chiffres restants. Une telle disposition exclut l’utilisation du pied comme extrémité de préhension. Le nourrisson humain — et dans une moindre mesure le nourrisson gorille – doit dépendre en grande partie de ses mains agrippantes pour subvenir à ses besoins sans aide. Le fait que les humains soient habituellement bipèdes et que, par conséquent, les mains soient libérées des tâches locomotrices peut également être un facteur contributif; la mère humaine peut se déplacer et en même temps continuer à soutenir son nourrisson. La sélection pour la préhension postnatale n’a donc pas eu la valeur de survie élevée chez l’homme qu’elle a chez les primates non humains, chez lesquels la survie du nourrisson dépend de sa capacité à tenir fermement. D’autre part, il est bien connu que les nouveau-nés humains peuvent supporter leur propre poids, pendant de courtes périodes, au moyen de leurs mains agrippantes. Il est donc clair que les adaptations à la survie ne manquent pas totalement chez l’espèce humaine. Peut-être que des facteurs culturels ont eu pour effet de supprimer la sélection naturelle pour la capacité de préhension précoce du nourrisson. Le premier facteur peut être l’évolution sociale d’une division du travail entre les sexes et d’une base d’accueil fixe, qui a permis à la mère de parquer son bébé avec d’autres membres de la famille en tant que baby-sitters. Un deuxième facteur peut être des communautés plus péripatétiques, dans lesquelles l’invention de dispositifs de portage du nourrisson, comme la technique du papoose des Indiens d’Amérique du Nord, a rendu inutile le fait que le nourrisson puisse subvenir à ses besoins. Quelles que soient les raisons biologiques ou culturelles, le nourrisson humain est plus impuissant que les petits de tous les autres primates.
Une fois que le nourrisson primate a appris à subvenir à ses besoins en se tenant debout sur ses deux (ou quatre) pieds, la phase physique de dépendance est terminée; la phase suivante, la dépendance psychologique, dure beaucoup plus longtemps. L’enfant humain est métaphoriquement attaché aux cordes du tablier de sa mère pendant des périodes beaucoup plus longues que les primates non humains. Les raisons en sont discutées ci-dessous. Selon Adolph Schultz, l’anthropologue suisse dont les études anatomiques comparatives ont éclairé la connaissance des primates non humains depuis le milieu du 20e siècle, la période juvénile de dépendance maternelle psychologique est de 21/2 ans chez les lémuriens, de 6 ans chez les singes, de 7-8 ans chez la plupart des singes (bien qu’elle semble aujourd’hui encore plus longue que celle des chimpanzés) et de 14 ans chez l’homme.