Pourquoi Nemo le poisson-clown a-t-il trois bandes blanches? L’énigme enfin résolue
Les poissons coralliens sont connus pour leur grande diversité de couleurs et de motifs, tous plus surprenants les uns que les autres. Les exemples incluent le poisson-papillon cuivré (Chelmon rostratus, qui a un “œil” noir sur son corps), le tang bleu (Paracanthurus hepatus) et le baliste Picasso (Rhinecanthus aculeatus), dont le nom est lié aux motifs de couleurs vives sur ses côtés.
L’un des exemples les plus célèbres de poissons de corail est le poisson-clown, qui a joué dans le film d’animation de Pixar Finding Nemo en 2003. Ce petit poisson, qui vit en symbiose avec l’anémone de mer, est facilement reconnaissable grâce à son corps orange vif et ses larges rayures blanches.
Malgré la popularité et la large distribution des poissons de corail, nous ne comprenons pas encore pourquoi ils ont des motifs de couleurs aussi innombrables et différents. Plus précisément, comment se forment les motifs et quels sont les rôles des couleurs ? Pour répondre à ces questions, une équipe de chercheurs de l’Observatoire de Banyuls-sur-Mer (France) et de l’Université de Liège (Belgique), a décidé d’étudier le poisson-clown et ses cousins. L’étude a été publiée dans l’édition de septembre 2018 de la revue BMC Biology.
Nemo, alias Amphiprion ocellaris, appartient au groupe des poissons-clowns, qui comprend environ 30 espèces. Leur motif de couleur est caractérisé par une couleur jaune, orange, brune ou noire avec des bandes blanches verticales composées de cellules réfléchissantes appelées iridophores.
En plus d’autres caractéristiques physiques, les espèces de poissons-clowns se distinguent par leur nombre de bandes blanches verticales. Ainsi, certaines espèces n’ont pas de rayures (Amphiprion ephippium), une seule (Amphiprion frenatus) ou seulement deux (Amphiprion sebae). Amphiprion ocellaris, le célèbre Nemo, a trois bandes. Qu’est-ce qui peut expliquer la différence du nombre de bandes entre ces espèces?
Comptons les rayures
Pour comprendre le mécanisme conduisant à la diversité des motifs pigmentaires, nous avons regroupé chaque espèce de poisson-clown en fonction de leur nombre de bandes verticales. L’analyse génétique intégrant l’histoire évolutive des poissons-clowns a révélé que leur ancêtre commun avait trois bandes blanches, et qu’au cours de leur diversification, les lignées de poissons-clowns ont successivement perdu la bande de queue, puis la bande du corps et enfin la bande de tête, donnant ainsi quatre combinaisons possibles:
- trois bandes (tête, corps et queue)
- deux bandes (tête et corps)
- une bande (tête seule)
- aucune bande.
En regardant les modèles qui se sont développés, il est clair que la diversité est contrainte: bien que les quatre combinaisons énumérées ci–dessus soient observées, les mécanismes biologiques ne permettent pas à une espèce d’en avoir d’autres – par exemple, une seule bande sur la queue.
Et au fil de l’évolution
Pour comprendre pourquoi certaines combinaisons de rayures n’existent pas chez les poissons-clowns, nous avons examiné le développement de deux espèces avec deux motifs de couleurs différentes à l’âge adulte, A. ocellaris, qui a trois bandes, et A. frenatus, qui n’a qu’une seule bande, sur la tête.
Les rayures en A. les ocellaires apparaissent dans un ordre bien défini lors de sa transformation de la larve au jeune adulte – d’abord celle de la tête, puis du corps et enfin de la queue. C’est-à-dire dans l’ordre inverse qu’ils ont disparu pour certaines espèces au cours du processus d’évolution.
Une deuxième observation surprenante est qu’A. frenatus présente le même développement que A. ocellaris au stade larvaire, avec l’apparition successive de trois bandes blanches de la tête à la queue alors que les individus adultes n’en ont qu’une seule. Ces bandes sont ensuite perdues dans l’ordre inverse où elles ont évolué, de la queue à la tête.
Ces résultats suggèrent que la perte chronologique des bandes au cours de l’évolution a été contrainte par la séquence d’apparition des bandes au cours du développement et qu’il existe un lien fort entre la phylogenèse (histoire évolutive) et l’ontogenèse (développement individuel). Cela conduit à l’hypothèse que la formation de bandes est contrôlée par un mécanisme génétique précis et dépend de la polarité antéro-postérieure du poisson. Ces mécanismes restent à découvrir.
Enfin, à quoi servent les rayures ?
Pour répondre à cette question, nous avons comparé la diversité des motifs de rayures blanches trouvés dans les communautés naturelles de poissons-clowns avec la diversité trouvée dans les communautés où la diversité des motifs de rayures blanches serait distribuée complètement au hasard. Grâce à ces simulations, nous avons pu montrer que la probabilité d’avoir des espèces de poissons-clowns avec le même nombre de bandes dans la même région était très rare.
Plusieurs facteurs écologiques peuvent influencer cette distribution non aléatoire et il est probable que le nombre de bandes blanches permette aux espèces de poissons-clowns de se reconnaître. Cette reconnaissance est essentielle dans l’organisation sociale de ces poissons, qui vivent parmi les anémones où plusieurs espèces peuvent coexister. Et c’est cette reconnaissance même qui permet à Nemo et à son père de se retrouver à l’autre bout de l’océan – une fin heureuse pour tous.