Tombe de Childéric
Le 27 mai 1653, un maçon sourd-muet nommé Adrien Quinquin, travaillant sur un projet de construction près de l’église Saint-Brice à Tournai, en Belgique, frappe de l’or. Alors que l’abbé Cochet reconstitue l’histoire dans Le tombeau de Childéric I, il était à environ 7 ou 8 pieds dans une terre sombre lorsqu’un coup de pioche a soudainement révélé une boucle en or et au moins une centaine de pièces d’or. Cette découverte surprise l’a amené à jeter l’outil et à courir, agitant les bras et essayant d’articuler les sons. Les premiers témoins qui se pressaient autour de la tranchée ont vu quelque deux cents pièces d’argent; des ossements humains, dont deux crânes; beaucoup de fer rouillé; une épée avec une poignée en or et une poignée ornées de la technique cloisonnée d’or et de grenat et gainées d’un fourreau cloisonné; et de nombreux autres objets en or, parmi eux, des broches, des boucles, des anneaux, un ornement en forme de tête de taureau et environ trois cents abeilles cloisonnées d’or.
Les autorités agirent rapidement pour rassembler ce ” trésor “, et la nouvelle parvint bientôt à l’archiduc Léopold-Guillaume, gouverneur des Pays-Bas autrichiens, qui le fit envoyer à Bruxelles. Il ordonna en outre qu’un compte rendu écrit minutieux de la découverte soit fait et confia la collection pour étude à son médecin personnel, Jean-Jacques Chifflet, qui était également historien. La découverte exceptionnelle était une chevalière en or portant la figure d’un guerrier armé et le nom de CHILIRICI REGIS. En 1655, Chifflet publia un volume folio de 367 pages avec 27 planches de gravures fournissant un excellent enregistrement visuel de tous les artefacts et une discussion minutieuse et un essai interprétatif identifiant le sujet comme le père de Clovis Ier, le grand ancêtre de la monarchie française. Cette découverte est le point de départ de l’archéologie mérovingienne, et l’étude de Chifflet mérite d’être considérée comme la première publication archéologique véritablement scientifique.
Cette étude s’est avérée d’autant plus avantageuse que la plupart des artefacts originaux ont disparu. L’archiduc les ramena chez lui à Vienne lorsqu’il se retira. À sa mort en 1662, ils sont entrés en possession de Léopold Ier, empereur d’Autriche, qui, en 1665, les a envoyés en France comme cadeau diplomatique au jeune roi Louis XIV.La collection a survécu intacte à la Révolution française, mais une nuit de 1831, deux voleurs ont fait irruption dans la Bibliothèque Royale et ont volé le trésor. Au moment où ils ont été capturés, la plupart des objets en or avaient été fondus, mais quelques artefacts, tels que l’ornement cloisonné en or de l’épée, avaient été jetés dans la Seine dans des sacs en cuir, et ceux-ci ont été récupérés.
Que savons-nous de Childéric ? L’ecclésiastique et historien Grégoire de Tours du vie siècle nous raconte quelque chose de sa vie dans Historia Francorum (L’histoire des Francs). Childéric était peut-être le fils de Mérovech, et il était considéré comme un roi tellement débauché que ses propres sujets le poussèrent à l’exil pendant huit ans parmi les Thuringiens, à la cour du roi Basinus et de la reine Basina. Pendant ce temps, le général romain Aegidius gouvernait les Francs à sa place. À son départ de la cour, la reine Basina le suivit. Ils se sont finalement mariés et elle a donné naissance à un fils, Clovis. Pendant ce temps, Childéric livra une bataille à Orléans contre les Wisigoths et une autre à Angers contre les Goths et les Saxons. Quand il mourut vers 481, son fils Clovis le remplaça. Sur la base de ces informations et de la manière dont Grégoire raconte la défaite ultérieure de Clovis (a.d.486) contre Syagrius, fils et héritier d’Aegidius, Childéric a souvent été présenté dans les livres d’histoire comme un seigneur de guerre franc mineur dont le pouvoir était basé sur la ville septentrionale plutôt mineure et excentrée de Tournai. (Ceci est supposé en raison du lieu de son enterrement.) On pense qu’il a joué un rôle de soutien aux commandants romains dans le nord de la Gaule, qui tentaient de défendre ce qui restait de la puissance romaine dans ce pays des années 450 aux années 480.
On peut beaucoup apprendre de la tombe de Childéric. Michel Kazanski et Patrick Périn proposent une reconstitution de la sépulture et commentent son intégration dans le monde complexe et changeant de la fin du Ve siècle. L’ornement polychrome en or et grenat si important dans la tombe est étroitement parallèle aux découvertes d’une autre tombe de guerrier princier contemporaine à Pouan, dans le nord-est de la France. Le style se réfère particulièrement à la région du Danube, où de riches assemblages comme ceux de Pannonie à Apahida (aujourd’hui en Hongrie) et à Blucina (aujourd’hui en République tchèque) définissent un style d’élite barbare international associé à l’empire hunnique. Ce côté “barbare” de l’assemblage childéric se reflète également dans des détails tels que le bracelet en or, dont Joachim Werner a montré qu’il était le symbole de la royauté allemande, fixé en permanence au poignet lorsque le roi monta pour la première fois sur le trône. Dans la tradition des tombes de chefs impériaux tardifs, Childéric possédait une panoplie d’armes. Aucune preuve n’a survécu d’un angon, d’une sorte de harpon ou d’un bouclier, qui sont des compléments typiques d’un tel assemblage, mais leurs vestiges auraient pu ressembler à autant de fer rouillé pour les spectateurs en 1653.
Il y avait une lance (la figure sur la chevalière est représentée en saisissant une, comme symbole de l’autorité royale) et une hache de lancer (francisca) — des armes de tous les jours, équilibrant le faste du défilé de l’épée longue à double tranchant d’or et de grenat et du scramasax court à simple tranchant. Le style de l’ornement cloisonné très fin sur ces armes rappelle les techniques byzantino-sassanides fabriquées dans les ateliers byzantins et souvent distribuées comme cadeaux diplomatiques. Childéric aurait-il pu voyager vers l’est et les recevoir, peut-être pendant son long exil en Thuringe ? Kazanski voit le matériau Childéric comme reflétant des motifs et des techniques répandus dans le monde méditerranéen; lui et Périn suggèrent qu’au moins une partie du travail a peut-être été réalisée localement pour Childéric, peut-être par des artisans formés en Orient. Il y a donc une saveur internationale au côté barbare de l’enterrement.
Le côté romain est représenté le plus fortement par un péroné cruciforme doré avec un pied finement décoré. Ces broches étaient portées par des fonctionnaires romains de haut rang, apposant sur l’épaule droite le manteau violet officiel, ou paludamentum. La chevalière en or suggère également à la fois l’autorité d’un commandant romain et la technologie de l’écriture: elle est utilisée pour sceller les ordres. L’image gravée dessus mélange habilement les deux côtés, romain et barbare: le roi est représenté comme un général romain avec une cape et une armure corporelle, mais il a les cheveux longs. Les cheveux longs, symbole de vitalité, étaient l’apanage de la lignée royale avec sa prétention à l’ascendance divine.
Il y aurait eu deux crânes humains dans la tombe, l’un plus petit que l’autre, ce qui a conduit à suggérer que Childéric avait été enterré avec sa femme, Basina. Une sphère de cristal de roche, toujours un artefact féminin, a été trouvée dans l’assemblage, mais il n’y a pas d’autres objets clairement féminins, donc cette théorie semble peu probable. Plus plausible est l’hypothèse qu’un cheval a été enterré dans ou près de la tombe du roi (le crâne d’un cheval a été retrouvé). C’est une coutume avec de nombreux parallèles dans le monde germanique, et certains des fragments de fer pourraient provenir d’équipements de harnais. En effet, certains pensent que les objets décoratifs énigmatiques, la tête de taureau et les abeilles dorées — trouvailles qui restent uniques — auraient pu orner le harnais royal plutôt qu’une robe royale, comme on l’a longtemps pensé.
Dans les années 1980, la compréhension de la tombe de Childéric et de son importance a été révolutionnée par une série de fouilles dirigées par Raymond Brulet. Cette recherche s’inscrivait dans une enquête plus vaste sur Tournai, à l’origine une ville romaine d’importance secondaire située à la frontière de deux civitates, ou États, dont le statut a augmenté à la fin de l’empire jusqu’à devenir le siège d’un évêché. Pourquoi un chef de guerre franc comme Childéric y a-t-il été enterré ? Rien dans les maigres sources écrites ne suggère un lien spécifique, et encore moins une raison. Quel était le contexte de la tombe ? Était-il isolé, comme cela a souvent été suggéré?
Le site de la tombe elle-même est précisément connu, grâce à Chifflet, mais inaccessible: une maison avec une cave profonde l’a remplacée. Brulet a pu creuser sous la rue devant elle, et il a obtenu la permission des propriétaires de creuser des tranchées dans leurs arrière-cours. Il est vite devenu évident que la tombe de Childéric faisait partie d’un cimetière où le style gallo-franc septentrional de la sépulture meublée était pratiqué: armes communes dans les tombes des hommes et bijoux dans les tombes des femmes, avec un dépôt funéraire de tradition impériale tardive commun aux deux. Il est possible, voire plausible, que Childéric soit la “tombe du fondateur”, le point focal autour duquel le cimetière s’est développé. Les deux découvertes les plus inattendues ont été la conception monumentale de la tombe entière et la preuve d’un sacrifice somptueux sans doute associé aux funérailles. Les caractéristiques archéologiques sur lesquelles reposent ces déductions sont trois fosses avec plusieurs sépultures de chevaux entourant la tombe royale comme des satellites et une zone non perturbée englobant la tombe royale elle-même. Ceci est interprété comme la preuve d’un tumulus monumental, ou tumulus funéraire, de 20 mètres ou plus de diamètre.
Vingt et un chevaux ont été entassés dans les trois fosses. Tout le matériel squelettique a été étudié avec soin et des tests au carbone 14 ont été effectués sur des os de cinq animaux. Les résultats se concentrent sur la fin du Cinquième siècle comme le moment le plus probable de l’enterrement. Les animaux eux-mêmes étaient clairement un groupe très sélectif et non aléatoire. La plupart étaient des hongres – chevaux de guerre – et beaucoup des autres étaient des étalons; une seule jument probable a pu être identifiée. Quatre étaient des poulains et dix-sept étaient des montures, des adultes âgés de six à dix-huit ans. Cela semble avoir été l’écurie royale, sacrifiée dans un geste somptueux lors des funérailles de Childéric.
Le roi a été enterré dans une chambre funéraire en bois solidement construite sur laquelle a été construit le grand tumulus. Il aurait été clairement visible depuis la voie romaine, passant un peu au sud sur son chemin jusqu’au pont sur la rive droite de l’Escaut, où se trouvait la partie principale de la ville. Le tumulus royal serait ainsi devenu peut-être la caractéristique monumentale la plus frappante du paysage autour de la ville. Cela correspond bien à la nature somptueuse des objets funéraires et au geste extravagant de sacrifier l’étable royale. Le symbolisme funéraire visait-il à rappeler la figure puissante d’Attila, le chef de la grande guerre à l’époque de la jeunesse de Childéric, qui était également enterré sous un grand tumulus et dont les funérailles comportaient des Huns montés qui l’entouraient, chantant des lamentations?
Guy Halsall, qui a insisté sur la nécessité de comprendre les aspects cérémoniels et même théâtraux de la pratique funéraire, qualifie l’ampleur de l’exposition funéraire de Childéric de stupéfiante. Il affirme également que ce n’est pas Childéric mais plutôt son fils, Clovis, qui a créé le tombeau pour démontrer son droit à la succession. Il n’y a aucune preuve à l’appui de cette hypothèse ; en effet si Childéric contrôlait déjà la Gaule jusqu’au sud de la Loire, comme le soutient Halsall, suivant la thèse révisionniste d’Edward James, le choix d’une petite ville loin au nord pour faire cette démonstration semble curieux.
Brulet suggère que Tournai a peut-être été l’endroit où les ancêtres de Childéric ont été enterrés; un écrivain romain contemporain, l’évêque Apollinaris Sidonius, rapporte que vers 450 ap.j.-c., les Francs Saliens sous Clodio se sont emparés de la civitas voisine d’Arras. Il s’agit probablement du grand-père de Childéric, qui occupait alors les terres jusqu’au sud de la Somme. Comme le souligne Périn, l’archéologie funéraire soutient cette limite pour le pouvoir franc à l’époque de Childéric, et Tournai a plus de sens en tant que lieu central en son sein. La sépulture de Childéric a toujours semblé exceptionnelle par la somptuosité des objets funéraires; la reconstitution de l’environnement funéraire par Brulet la distingue d’autant plus, accentuant la résonance païenne et barbare de ce monument funéraire cosmopolite.
Alors que l’autorité impériale se fragmentait dans tout l’empire d’Occident et que de nouvelles politiques, principalement identifiées à des dirigeants et des peuples barbares, émergeaient pour la remplacer, le rituel funéraire offrait un moyen puissant de revendiquer symboliquement le pouvoir. Il n’y a aucune raison de supposer qu’une figure aussi réussie et décisive que Childéric dans l’environnement politique et culturel complexe et changeant de l’époque n’aurait pas décidé d’une question aussi fondamentale que ses propres funérailles. En effet, il semble avoir façonné à partir de diverses traditions (notamment les “sépultures de chefs” germaniques que ses ancêtres francs connaissaient depuis des générations) un nouveau modèle funéraire audacieux digne d’un roi. En quelques années, le succès étonnant de Clovis, éliminant les dirigeants rivaux et conquérant la majeure partie de la Gaule romaine, a changé tous les fondamentaux de la situation. Clovis centra son nouveau pouvoir sur Paris, dans le bassin de la Seine, à l’extrême sud-ouest de Tournai. De plus, en se convertissant au christianisme catholique, Clovis s’est détourné du modèle funéraire trop païen de son père. Sa propre mort à Paris en 511 ouvre un nouveau chapitre funéraire, celui de l’enterrement royal ad sanctos (enterrement à côté ou près d’un martyr ou d’un saint-confesseur).
Voir aussiles Francs roumains (vol. 2, partie 7); Sutton Hoo (vol. 2, partie 7) ; La France mérovingienne (vol. 2, partie 7).
bibliographie
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——, ed. Les fouilles du quartier Saint-Brice à Tournai. Vol. 2, L’environnement funéraire de la sépulture de Childéric. Louvain-la-Neuve, France: L’Université Catholique de Louvain, 1990–1991. (Details the excavations of the 1980s, including the original specialist reports.)
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Bailey K. Young