1 – La concentration croissante de la richesse et du pouvoir économique en tant qu’obstacle au développement durable – et que faire à ce sujet

Par Kate Donald, Center for Economic and Social Rights, et Jens Martens, Global Policy Forum

L’Agenda 2030 cite les “énormes disparités d’opportunités, de richesses et de pouvoir” comme l’un des “immenses défis” du développement durable. 1 Il reconnaît que ” la croissance économique soutenue, inclusive et durablewill ne sera possible que si la richesse est partagée et que l’inégalité des revenus est corrigée “. 2

La concentration croissante du marché et l’accumulation de richesse et de pouvoir économique entre les mains d’un nombre relativement restreint de sociétés transnationales et d’individus ultra-riches constituent une part importante du tableau des inégalités. Une concentration intense des richesses et du pouvoir est en fait incompatible avec l’ensemble du Programme 2030.

Cette tendance n’est pas apparue accidentellement: l’inégalité est le résultat de choix politiques délibérés. Dans de nombreux pays, les politiques fiscales et réglementaires ont non seulement entraîné l’affaiblissement du secteur public, mais ont également permis une accumulation sans précédent de richesses individuelles et une concentration croissante du marché.

Mais il existe des alternatives robustes et progressistes à ces politiques, qui pourraient efficacement redistribuer la richesse et contrecarrer la concentration du pouvoir économique. De telles politiques alternatives seront une condition préalable pour libérer le potentiel de transformation des ODD et réaliser leur ambition de ” réaliser les droits de l’homme de tous”3.

Accumulation croissante de la richesse

L’inclusion d’un objectif de réduction des inégalités est l’une des forces majeures des ODD, mais le défi est encore plus immense que ne le suggèrent les cibles de l’Objectif 10. Bien qu’il existe une cible sur les disparités de revenus (10.1)4, l’inégalité de la richesse est négligée bien qu’elle soit l’un des principaux moteurs des disparités à travers le monde.

De nombreuses études ont montré que l’inégalité des richesses est encore plus profonde et plus pernicieuse que l’inégalité des revenus. Selon les estimations du Credit Suisse Research Institute, la moitié inférieure de la population mondiale possède moins de 1% de la richesse totale. En revanche, les 10% les plus riches détiennent 88% de la richesse mondiale et les 1% les plus riches représentent à eux seuls 50% des actifs mondiaux. 5 Comme l’écrit Branko Milanovic, “les inégalités de richesse sont encore plus extrêmes pour tous les pays pour lesquels nous disposons de données fiables”. 6 Ces disparités se renforcent également, car la richesse génère généralement des revenus : en 2014, 67,4 % du revenu avant impôt des 0 premiers.1% aux États-Unis était un revenu de fortune (plus-values, intérêts, dividendes, etc.). 7 Dans la plupart des pays émergents et riches, la part de la richesse des 1 % les plus riches n’a cessé d’augmenter au cours des deux à trois dernières décennies (voir Figure 1.1).

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Le cercle vicieux de l’inégalité

La richesse – la propriété de biens, de terres ou d’actions, par exemple – confère non seulement la sécurité économique, mais aussi le pouvoir social et politique. Comme le souligne Jeff Spross de La semaine, “qui possède la richesse détermine en fin de compte qui gouverne”. 8 Cette situation crée un “cercle vicieux d’inégalité”, dans lequel les inégalités économiques croissantes accentuent les inégalités politiques, ce qui augmente la capacité des entreprises et des élites riches à influencer l’élaboration des politiques pour protéger leurs richesses et leurs privilèges. Pendant ce temps, le pouvoir des syndicats, par exemple, est de plus en plus érodé. 9 Milanovic déclare que “des niveaux d’inégalité plus élevés semblent être économiquement bénéfiques pour les riches, qui sont souvent capables de traduire leur contrôle disproportionné des ressources en une influence disproportionnée sur la prise de décision politique et économique.”10

C’est en grande partie parce que la richesse achète l’influence11, y compris en finançant directement des campagnes politiques. Aux États-Unis, les 0,01% les plus riches ont contribué à 40% du total des contributions à la campagne électorale en 2016. 12 Dans de nombreux contextes, les législateurs sont presque exclusivement issus des classes les plus riches de la société. La richesse achète également l’accès aux services d’avocats, de comptables et de lobbyistes, que le New York Times qualifie d ‘”industrie de défense des revenus”, “une phalange à prix élevé d’avocats, de planificateurs immobiliers, de lobbyistes et de militants anti-fiscaux qui exploitent et défendent un éventail vertigineux de manœuvres fiscales, pratiquement aucune d’entre elles n’étant disponible pour les contribuables de moyens plus modestes”. 13

La richesse tend également à persister au fil des générations, ce qui limite la mobilité sociale. Les disparités de richesse sur la base de la race et du sexe, par exemple, ont tendance à être beaucoup plus grandes que celles du revenu. 14 Alors que de nombreuses personnes peuvent subir des pertes en raison d’une crise financière, ce sont les plus pauvres et les plus marginalisés qui sont les plus durement touchés faute de coussin. Dans de nombreux pays, les femmes ont subi le fardeau de la crise financière mondiale de 2007-2009 (et des mesures d’austérité qui ont suivi). 15 Aux États-Unis, les récessions ont touché de manière disproportionnée les familles noires et latinos. 16

Pourquoi l’inégalité extrême des richesses est contraire au Programme 2030

La concentration des richesses affecte directement ou indirectement tous les éléments du Programme 2030. Les inégalités économiques extrêmes sont, par exemple, étroitement liées à la pauvreté persistante et chronique (ODD 1). En effet, plusieurs études ont montré que l’ODD 1 ne sera pas atteint si l’on ne s’attaque pas également aux inégalités extrêmes de revenus et de richesses. Les ressources captées par les personnes et les entités riches seront essentielles pour lutter efficacement contre la pauvreté. Pour donner un exemple, l’homme le plus riche du Nigeria, Aliko Dangote, fondateur du plus grand producteur de ciment d’Afrique, gagne suffisamment d’intérêts sur sa fortune en un an pour sortir 2 millions de personnes de l’extrême pauvreté. 17 Il n’est donc pas surprenant qu’Oxfam, comme d’autres organisations de la société civile, concluent : ” Pour mettre fin à l’extrême pauvreté, nous devons également mettre fin à l’extrême richesse “18.

En termes d’inégalité entre les sexes (ODD 5), les droits des femmes sont systématiquement mis à mal par les mêmes systèmes qui créent et perpétuent des monopoles de pouvoir et de richesse. Au niveau le plus simple, 90% des personnes figurant sur la liste des milliardaires de Forbes sont des hommes, et l’écart de richesse entre les sexes a tendance à être encore plus important que l’écart de rémunération entre les sexes. Aux États-Unis, les femmes blanches ne possèdent que 32 cents pour chaque dollar détenu par un homme blanc, et les femmes de couleur encore moins. 19

L’inégalité de la richesse reflète, renforce et aggrave les diverses inégalités auxquelles les femmes sont confrontées, en recoupant plusieurs ODD. Un rapport d’ONU Femmes sur la mise en œuvre des ODD dans une perspective de genre constate qu’au Cameroun, par exemple, alors qu’un peu plus de 30% des femmes sont analphabètes, parmi les 20% de femmes les plus pauvres, plus de 80% sont analphabètes. 20 Au Pakistan, 58.5% des femmes et des filles dans les 20% les plus bas de l’indice de richesse déclarent ne pas avoir leur mot à dire dans les décisions concernant leurs propres soins de santé, contre 39,3% dans le quintile le plus riche, tandis que les femmes les plus pauvres de Colombie sont 16,4 fois plus susceptibles que les femmes les plus riches d’accoucher sans l’aide d’un professionnel de la santé. 21 ONU Femmes résume : ” Les inégalités de richesse et les inégalités liées au genre interagissent souvent de manière à laisser les femmes et les filles des ménages les plus pauvres derrière elles dans des domaines clés liés aux ODD, notamment l’accès à l’éducation et aux services de santé.” 22

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En outre, la concentration extrême des richesses menace la réalisation du Programme 2030 en affectant fondamentalement la quantité de ressources disponibles à dépenser pour le développement durable. Comme l’indique le Rapport mondial sur les inégalités 2018, “Au cours des dernières décennies, les pays sont devenus plus riches, mais les gouvernements sont devenus pauvres” en raison d’un virage massif vers les capitaux privés. 23 Suite aux politiques de privatisation des dernières décennies, le montant des capitaux publics est désormais négatif ou proche de zéro dans de nombreux pays riches (voir Figure 1.2). Cela limite l’espace politique des gouvernements pour lutter contre les inégalités, ainsi que pour mettre en œuvre les ODD. Par exemple, bon nombre des ODD – en particulier 3 (santé), 4 (éducation), 5 (égalité des sexes), 6 (eau) et 10 (inégalités) – dépendront en fin de compte de services publics de qualité et accessibles, qui nécessitent un financement public robuste.

En plus de menacer la fourniture de services publics, une concentration intense des richesses est susceptible d’être un obstacle majeur à la création d’un travail décent pour tous et à la protection des droits des travailleurs (ODD 8), étant donné que le pouvoir des élites riches et des grandes entreprises l’emporte largement sur celui du travail organisé. Pendant ce temps, la capacité des travailleurs à s’organiser et à négocier a été compromise dans de nombreux cas, notamment par la pression exercée sur les gouvernements par les grandes entreprises.

Les sociétés très inégales sont également mauvaises pour l’environnement24 et menacent donc les aspects environnementaux du Programme 2030. Les très riches ont tendance à avoir une empreinte écologique beaucoup plus importante parce qu’ils consomment plus, et il a été démontré que des niveaux élevés d’inégalités vont à l’encontre de la mobilisation des efforts collectifs nécessaires à la protection de l’environnement. La capacité des riches à fausser la prise de décisions en fonction de leurs intérêts peut également être préjudiciable à l’environnement, tout en veillant à ce que la plupart des impacts du changement climatique et de la pollution puissent être “déversés” sur les personnes vivant dans la pauvreté. 25

Ces tendances pourraient également constituer un obstacle à la réalisation de l’objectif 16, en particulier en ce qui concerne les institutions efficaces et responsables et la prise de décisions participatives, inclusives et représentatives. En général, la concentration des richesses et les processus économiques qui l’ont accompagnée – comme la financiarisation intense – faussent la prise de décision d’une manière qui pourrait bien être fatale aux perspectives de réalisation du Programme 2030. De plus en plus, par exemple, ce sont les entreprises financières qui ont le pouvoir de prendre des décisions sur les projets d’infrastructure les plus importants (c’est-à-dire susceptibles de générer un retour sur investissement), plutôt que les personnes touchées de décider démocratiquement ce qui a le plus de valeur sociale.

Concentration croissante des entreprises

Les inégalités extrêmes dans la richesse individuelle sont également liées à la concentration croissante du marché. De nombreux secteurs de l’économie mondiale sont dominés par un petit nombre de sociétés transnationales, ce qui leur confère un vaste pouvoir sur ces marchés. Les principaux bénéficiaires de ces structures de marché oligopolistiques sont les plus grands actionnaires et les principaux propriétaires des entreprises, dont certains se sont hissés au sommet de la liste des milliardaires mondiaux. Des exemples frappants sont Jeff Bezos d’Amazon, Bill Gates de Microsoft, Mark Zuckerberg de Facebook et Carlos Slim d’America Movil. Slim a établi un monopole presque complet sur les services de communications téléphoniques et à large bande au Mexique, ce qui, selon l’OCDE, a eu des effets négatifs importants pour les consommateurs et l’économie – mais évidemment des effets positifs pour la fortune de Slim. 26

Les processus de concentration et les méga-fusions dans l’industrie agroalimentaire, à toutes les phases de la chaîne de valeur, sont particulièrement alarmants pour la mise en œuvre de l’ODD 2. 27 Le commerce mondial des produits agricoles, du blé, du maïs et du soja au sucre, en passant par l’huile de palme et le riz, n’est dominé que par cinq entreprises. Pendant ce temps, si toutes les fusions actuellement prévues dans le secteur des semences et de l’agrochimie sont autorisées, les nouveaux géants des entreprises contrôleront ensemble jusqu’à 70% du marché des produits agrochimiques et plus de 60% du marché mondial des semences. 28

La concentration du marché et le rôle croissant de quelques acteurs mondiaux sont également évidents dans d’autres domaines pertinents pour les ODD. Des groupes relativement restreints de sociétés transnationales dominent, par exemple, le secteur minier, le marché mondial du pétrole et du gaz et l’industrie automobile. Ils influencent, et souvent sapent, les mesures efficaces contre le changement climatique et la transformation vers des systèmes énergétiques durables (ODD 7 et 13). Les industries extractives jouent un rôle similaire dans la consommation et la production non durables (ODD 12), en particulier avec la ruée vers les mines en haute mer (ODD 14). Il a également été démontré que la concentration des entreprises coûte des emplois et réduit les salaires, avec des implications pour l’ODD 8. 29

Les banques transnationales, les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion d’actifs, qui sont les principaux moteurs de ces tendances, ont eux-mêmes connu une concentration massive ces dernières années. La recherche a révélé une concentration croissante de la propriété entre les mains du capital financier au cours des trois dernières décennies. 30 Une enquête différente sur les relations entre 43 000 sociétés transnationales a permis d’identifier un groupe de sociétés, principalement du secteur financier, ayant un pouvoir disproportionné sur l’économie mondiale. Selon l’étude, “les sociétés transnationales forment une structure de nœud papillon géante et une grande partie des flux de contrôle vers un petit noyau d’institutions financières étroitement lié.” 31 Au centre du nœud papillon, un noyau de 147 entreprises contrôle 40 % de la richesse du réseau, alors que seulement 737 entreprises en contrôlent 80 %. L’une des plus influentes est la plus grande société de gestion d’actifs au monde BlackRock. À la fin de 2017, la valeur des actifs gérés par BlackRock était de 6,288 billions de dollars AMÉRICAINS, supérieure au PIB du Japon ou de l’Allemagne. 32 Les grands investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension, les fonds d’assurance et les fonds souverains sont également les moteurs d’une nouvelle génération de partenariats public-privé (PPP) dans les infrastructures, obligeant les gouvernements à proposer des projets “bancables” qui répondent aux besoins de ces investisseurs plutôt qu’aux besoins de la population touchée.

Quels choix politiques nous ont conduits ici ?

Les choix politiques qui ont produit cette concentration extrême du marché et cette inégalité socio-économique sont les mêmes politiques fiscales et réglementaires qui ont conduit à l’affaiblissement du secteur public et ont permis l’accumulation sans précédent de la richesse individuelle et des entreprises. Certains gouvernements ont activement promu ces politiques, dans d’autres cas elles ont été imposées de l’étranger, notamment par le Fonds monétaire international (FMI) et de puissants créanciers publics et privés.

Les coupes dans les services publics et autres “mesures d’austérité” que les gouvernements ont déclarées nécessaires pour les maintenir solvables au lendemain de la crise financière de 2008-2009 ont entraîné une vague de privatisations, en particulier dans la fourniture de services publics et les infrastructures. Les premières pièces d'”argent de famille” vendues entre des mains privées étaient telles que l’approvisionnement en eau, les écoles, les hôpitaux, les chemins de fer, les routes, les ports et les aéroports. Par exemple, parmi les mesures que la Grèce a été contrainte d’adopter pour respecter les conditions de ses programmes d’aide financière, figure une concession de 40 ans pour l’exploitation, la gestion, le développement et l’entretien de 14 aéroports régionaux en Grèce à Fraport, une société de transport allemande. Selon une étude d’un Institut transnational, sur les 37 aéroports régionaux appartenant à l’État grec, seuls les 14 qui étaient rentables ont été inclus dans le programme de privatisation, laissant les contribuables subventionner le reste non rentable. L’étude a conclu: “La privatisation entraîne souvent une perte de revenus pour l’État, car des actifs publics de valeur sont vendus à des prix d’aubaine à des entreprises. Les sociétés d’État rentables qui génèrent des revenus annuels sont vendues, tandis que les actifs non rentables consommant des subventions restent entre les mains de l’État.”33

La crise financière mondiale a également exacerbé l’érosion continue des droits du travail, qui a été un facteur majeur de l’augmentation des inégalités de revenu et de richesse. Historiquement, les syndicats ont joué un rôle crucial dans la protection des droits économiques et sociaux et ont contribué à combler les écarts de salaires entre les sexes 34 et les races 35. Il existe maintenant des preuves solides que la baisse de la syndicalisation a été associée à une augmentation de la part des revenus les plus élevés dans les économies avancées. 36 Les politiques contributives comprenaient la cessation des accords généraux nationaux, le recul du soutien aux négociations interentreprises et les modifications législatives qui favorisaient les droits des entreprises par rapport aux droits du travail, par exemple en introduisant la possibilité pour les entreprises en difficulté de se retirer des accords sectoriels. 37

L’augmentation des inégalités a également été alimentée par la financiarisation de secteurs tels que le logement. En Espagne, par exemple, la bulle immobilière a été identifiée comme la principale cause de l’augmentation sans précédent du ratio richesse personnelle / revenu national. 38 En Argentine, il y a 750 000 logements inoccupés et spéculatifs, tandis que la spéculation excessive dans le secteur immobilier a fait grimper les prix au point que de nombreuses personnes (en particulier dans les zones urbaines) ne sont pas en mesure de jouir de leur droit à un logement sûr et sécurisé. 39 À Buenos Aires, le nombre de personnes en situation de sans-abrisme a augmenté de 20 % en 2016. 40 Les lois de zonage et les politiques fiscales actuelles ont été identifiées comme permettant des pratiques de spéculation immobilière. 41

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Les lois sur la concurrence et les lois antitrust existantes aux niveaux national et international ont manifestement été trop faibles pour empêcher les méga-fusions et freiner la croissance massive des conglomérats financiers ayant une influence disproportionnée sur l’économie mondiale. Pendant la crise financière de la fin des années 2000, les plans de sauvetage et les programmes de relance ont sauvé le système bancaire mondial, mais n’ont pas réussi à freiner la croissance des grandes banques et des compagnies d’assurance. Au contraire, les fusions et acquisitions financières faisaient partie intégrante de la réponse.

Mais le facteur le plus important dans la concentration de la richesse et du pouvoir économique a peut-être été l’adoption de politiques fiscales plus régressives dans la plupart des régions du monde, avec un recours accru aux impôts indirects tels que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour augmenter les recettes, la baisse des taux d’imposition des sociétés et des particuliers sur les revenus les plus élevés et la faiblesse des recettes provenant des impôts fonciers et successoraux (le cas échéant). Les taux légaux moyens d’imposition des sociétés ont diminué de 13 à 18 points de pourcentage au cours des 25 dernières années (voir la figure 1.3). 42

Parallèlement, les dépenses consacrées aux services publics et à la protection sociale – qui représentent une forme cruciale de redistribution des richesses et jouent un rôle essentiel dans la réalisation des droits de l’homme – ont été réduites dans de nombreux pays. 43 Bien que toute la rhétorique selon laquelle le resserrement de la ceinture et l’austérité soient la seule option, des alternatives plus progressistes telles que l’augmentation des taux d’imposition des plus hauts revenus, l’élimination des incitations fiscales pour les sociétés multinationales ou une meilleure application de la perception des impôts fonciers, ont généralement été ignorées ou rejetées comme irréalisables.

Même les pays qui ont résisté à cette tendance au cours des dernières décennies, comme le Brésil, connaissent maintenant une évolution vers des politiques plus punitives et régressives, en particulier en ce qui concerne les dépenses publiques, avec des impacts potentiellement graves sur les communautés marginalisées et défavorisées. 44 En effet, l’impact négatif de ces tendances en matière de politique budgétaire a diminué de manière disproportionnée sur ceux qui ont le moins les moyens de payer; les impacts sexospécifiques des mesures d’austérité et de la fiscalité régressive sont, par exemple, bien documentés. 45

L’absence de volonté politique ou du moins d’action concertée efficace pour lutter contre la dimension transfrontalière de l’évasion et de l’évasion fiscales a encore facilité l’accumulation de richesses et de pouvoir économique. Comme l’ont récemment révélé les soi-disant Panama et Paradise Papers, une grande partie des bénéfices et de la richesse des sociétés transnationales et des individus riches est détenue à l’étranger dans des paradis fiscaux. Cela aggrave les inégalités en privant les pays de recettes qui pourraient être utilisées pour financer des systèmes de protection sociale et des services publics de qualité essentiels à l’universalisation de la jouissance des droits économiques et sociaux. Cela conduit également à une sous-estimation significative de l’échelle des inégalités. Selon des estimations récentes, les super-riches cachent au moins 7,6 billions de dollars américains aux autorités fiscales. 46

Il existe des alternatives

De manière cruciale, il existe des alternatives robustes et progressives à ces tendances politiques qui contribueraient à redistribuer la richesse et le pouvoir et commenceraient ainsi à s’attaquer à l’un des obstacles structurels fondamentaux à la réalisation des engagements en matière de développement durable et de droits de l’homme.

Les gouvernements doivent de toute urgence mettre en œuvre des politiques fiscales et réglementaires qui répondent à l’accumulation massive de richesses individuelles, et générer et redistribuer les ressources d’une manière plus conforme aux principes et normes des droits de l’homme 47, y compris par la fourniture de services publics de qualité accessibles à tous. Il est cependant important de reconnaître que la lutte contre les inégalités n’est pas seulement une question technocratique. L’inégalité extrême est profondément liée aux hiérarchies de pouvoir, aux institutions, à la culture et à la politique. Comme le note la Société pour le développement international (SID) à propos de l’Afrique de l’Est, les efforts visant à lutter contre les inégalités ont ” peu de chances d’aboutir en l’absence d’une tentative engagée de démanteler et de recréer les institutions qui distribuent le pouvoir et les réseaux qui ont émergé pour en tirer des avantages”. 48 Par conséquent, une réforme des politiques est nécessaire, mais pas suffisante, et une approche sectorielle est susceptible de ne s’attaquer qu’à la pointe de l’iceberg. Pour lutter efficacement contre les inégalités économiques, il faut des changements plus globaux et plus radicaux dans l’endroit et la manière dont le pouvoir est investi, notamment par des engagements institutionnels, juridiques, sociaux, économiques et politiques en faveur de la réalisation des droits de l’homme.

Les normes relatives aux droits de l’homme – en particulier celles relatives à l’égalité réelle et à la non-discrimination, à la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels, et au devoir des États de coopérer au niveau international pour la réalisation de ces droits – fournissent aux États des orientations normatives détaillées et complètes sur les mesures qu’ils doivent prendre pour réduire les inégalités économiques à l’intérieur des pays et entre les pays, et sur la manière dont elles recoupent les dimensions des inégalités entre les sexes, raciales et autres. 49

Alors que les gouvernements poursuivent les réformes nécessaires, notamment dans les domaines des politiques fiscales et budgétaires nationales, de la coopération fiscale internationale, des lois sur la concurrence et des régimes antitrust, et de la réglementation des marchés financiers, les principes et normes relatifs aux droits de l’homme devraient guider les choix politiques, la mise en œuvre et les résultats recherchés. Les éléments essentiels d’un train de réformes sont les suivants:

  • Mettre l’accent sur la fiscalité progressive: La fiscalité devrait être basée sur la capacité de payer, les riches et les grandes entreprises assumant la majeure partie du fardeau (et ne bénéficiant pas d’une “issue facile” par des échappatoires). Une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) plate et indifférenciée est régressive, pèse de manière disproportionnée sur les pauvres et ne devrait donc pas constituer la pièce maîtresse du système fiscal. Une grande attention devrait plutôt être accordée à l’impôt sur le revenu, à l’impôt sur les sociétés et aux impôts sur la fortune et les actifs, tels que les biens, les plus-values et les successions/ successions, très progressifs. Un impôt global sur la fortune doit être soigneusement examiné; Thomas Piketty, par exemple, a suggéré un impôt annuel progressif sur la valeur nette individuelle pour les personnes les plus riches de la planète, par exemple à un taux de 1% pour un patrimoine de 1 à 5 millions d’euros et de 2% au-dessus de 5 millions d’euros. 50 Toute forme de taxation indirecte devrait être rendue aussi favorable que possible aux pauvres, par exemple par des exemptions plus approfondies sur les produits de base et des taux plus élevés sur les articles de luxe. Les systèmes fiscaux doivent également être conçus en tenant compte de l’objectif de l’égalité des sexes, en accordant une attention particulière à la manière dont les systèmes fiscaux affectent le montant et la répartition du travail de soins non rémunéré.

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  • Tirer pleinement parti du potentiel redistributif des politiques budgétaires : Avec le Programme 2030, les gouvernements se sont engagés à atteindre progressivement une plus grande égalité grâce à des politiques fiscales, salariales et de protection sociale ciblées (cible 10.4 des ODD). Redistribution par des travaux de politique budgétaire; le coefficient de Gini de répartition des revenus après impôts et transferts sociaux est souvent inférieur de plus de 0,2 % au coefficient de Gini des revenus du marché (voir Figure 1.4). Cependant, dans de nombreux pays, le potentiel redistributif de la politique budgétaire est souvent largement sous-utilisé. 51 La budgétisation participative et la budgétisation sexospécifique peuvent être des outils importants à cet égard.
  • Améliorer les services publics et mettre en place des systèmes de protection sociale universels et complets : Pour créer une répartition plus équitable du pouvoir et réaliser les droits de l’homme (par ex., à l’eau, à la santé, à l’éducation et à la sécurité sociale) il est également crucial d’améliorer la qualité et la portée des services publics et d’élargir la protection sociale. L’universalisation de l’accès à des services publics de qualité est un moyen efficace de redistribuer les opportunités, le bien-être, la richesse et le pouvoir. La mise en place de socles de protection sociale (elle-même inscrite dans la cible 1 des ODD.3) est une autre mesure politique essentielle pour réduire les inégalités, bien que des “planchers” devraient être une étape sur la voie de systèmes de protection sociale plus complets qui transforment plutôt que de simplement atténuer les pires effets du système économique actuel. Le droit de l’homme à la sécurité sociale (protection sociale) est déjà une obligation légale de la plupart des États, consacrée par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels. L’OIT a montré que les socles universels de protection sociale sont généralement abordables pour tous les pays. 52
    Il ne fait aucun doute que toutes les mesures doivent tenir compte du genre si elles veulent tenir leur promesse de promouvoir l’égalité et de réaliser les droits de l’homme. Cela passe notamment par un examen attentif de la charge disproportionnée que représentent pour les femmes les tâches de soins non rémunérées – dont la réduction et la redistribution devraient être l’un des objectifs principaux des services publics et des systèmes de protection sociale. Par conséquent, l’amélioration de l’accès et de la qualité des services de soins (soins aux personnes âgées ainsi que garde d’enfants) devrait être une priorité majeure. 53
  • Mettre en œuvre et faire respecter le salaire minimum et garantir les droits du travail, y compris le droit à un travail décent, à un salaire égal, et le droit d’organisation et de négociation collective. Il est crucial de déplacer l’équilibre des pouvoirs des capitaux et des finances vers les travailleurs pour remédier aux inégalités et atteindre les ODD. Le salaire minimum devrait être fixé à un niveau compatible avec ce qui est nécessaire pour vivre dans la dignité et jouir du droit de l’homme à un niveau de vie suffisant. La réglementation des ratios salariaux entre les salariés les moins bien payés et les mieux rémunérés dans une entreprise pourrait également être envisagée; à tout le moins, les ratios salariaux et les écarts salariaux entre les sexes devraient être divulgués pour examen public.
  • Renforcer les initiatives contre les abus fiscaux et les flux financiers illicites: Un ensemble de mesures nationales et internationales est nécessaire pour renforcer les autorités fiscales, combler les échappatoires fiscales et prévenir la fuite des capitaux. 54 Il s’agit notamment :
    • De mesures efficaces contre la manipulation des prix de transfert.
    • Normes obligatoires de déclaration pays par pays pour les sociétés transnationales.
    • Règles contraignantes pour l’échange automatique d’informations fiscales entre les agences de l’État.
    • Soutien efficace au recouvrement des avoirs volés tel que décrit dans la Convention des Nations Unies contre la corruption.
    • Suivi de la propriété effective des actifs détenus (à l’étranger) par des entités et des arrangements tels que des sociétés écrans, des fiducies et des fondations. Selon le World Inequality Report 2018, un registre financier mondial enregistrant la propriété d’actions, d’obligations et d’autres actifs financiers pourrait porter un coup sévère à l’opacité financière. Des systèmes plus transparents existent déjà dans des pays comme la Norvège et la Chine, ce qui suggère que la transparence est techniquement et économiquement faisable. 55
    • Interdire les transactions financières dans les paradis fiscaux et les juridictions secrètes – ainsi que fermer les paradis pour l’argent illicite.

  • Application du principe du pollueur-payeur au secteur financier – introduction d’une Taxe sur les transactions financières (TTF): Une TTF devrait être prélevée sur la négociation d’actions, d’obligations, de produits dérivés et de devises à la bourse, dans les centres de commerce et dans les transactions de gré à gré. L’imposition de la taxe devrait être coordonnée au niveau international, mais les pays individuels ou les groupes de pays devraient être encouragés à commencer à l’appliquer avant même qu’elle ne devienne mondiale, par exemple les 10 pays qui participent à la proposition de la Commission européenne de mettre en œuvre une TTF en utilisant la “coopération renforcée”.
  • Renforcement des politiques de concurrence et antitrust: Les gouvernements devraient renforcer les instruments et les institutions pour leur permettre de briser les structures oligopolistiques. Ils devraient renforcer les lois antitrust nationales et régionales, les bureaux des cartels et les régulateurs de la concurrence, ainsi que les politiques antitrust mondiales, la coopération et les cadres juridiques sous les auspices de l’ONU (y compris en tenant dûment compte de la proposition de Convention des Nations Unies sur la concurrence).
  • S’attaquer au problème du “too big to fail” – Afin de prévenir de futures crises financières mondiales, les gouvernements ne devraient plus permettre aux entreprises et aux banques de croître de manière illimitée. La séparation de la banque commerciale et de la banque d’investissement doit être reconsidérée et adaptée au 21e siècle. En outre, une réglementation internationale plus efficace est nécessaire pour éviter les effets déstabilisateurs des fonds spéculatifs et des fonds de capital-investissement sur le système financier mondial. Cela pourrait inclure une interdiction pour les fonds de pension et les assurances d’investir dans des fonds hautement spéculatifs.
  • Réglementer et restreindre l’argent en politique: y compris par des lois anti-corruption, de divulgation et de déclaration plus strictes concernant le lobbying des entreprises, les dons politiques et l’accès aux décideurs et aux processus politiques.
  • Freiner la spéculation immobilière: Étant donné que la spéculation immobilière et la financiarisation du logement sont une cause majeure de la montée des inégalités, du sans-abrisme et de la précarité du logement, un plus grand nombre de pays devraient envisager une sorte de “taxe sur la spéculation immobilière”, telle qu’elle est mise en œuvre de manière rudimentaire en Allemagne, qui imposerait des taux punitifs aux spéculateurs ou à ceux qui possèdent des résidences secondaires et des propriétés vides. 56 En Espagne, la communauté autonome de Navarre a adopté une mesure permettant l’expropriation publique de tout logement resté vacant pendant deux ans. 57

En somme, il existe des alternatives politiques robustes et progressives, qui pourraient efficacement contrecarrer la concentration excessive du pouvoir économique. La mise en œuvre de telles politiques sera une condition préalable pour libérer le potentiel de transformation du Programme 2030 et pour réaliser les droits de l’homme, dans le cadre et parallèlement à un changement plus important dans la façon dont le pouvoir est réparti à l’échelle nationale et mondiale.

Kate Donald est Directrice du Programme Droits de l’Homme dans le Développement Durable au Centre pour les Droits Économiques et Sociaux (CESR), Jens Martens est Directeur du Global Policy Forum (GPF).

  • 1. ONU (2015b), par. 14.
  • 2. Ibid., par. 27.
  • 3. Ibid., préambule.
  • 4. La cible 10.1 ne vise pas vraiment l’inégalité des revenus en soi (c’est–à-dire l’écart entre les riches et les pauvres), mais est plutôt basée sur la mesure de la “prospérité partagée” de la Banque mondiale – la part des 40% les plus pauvres de la répartition des revenus augmentant plus rapidement que la moyenne.
  • 5. Credit Suisse (2017), p. 110, chiffres pour 2017.
  • 6. Jean-Pierre (2018).
  • 7. Piketty et coll. (2018), Annexe aux données (http://gabriel-zucman.eu/files/PSZ2017MainData.xlsx).
  • 8. http://theweek.com/articles/717294/wealth-inequality-even-worse-than-income-inequality.
  • 9. Jaumotte / Osorio Buitron (2015).
  • 10. Jean-Pierre (2018).
  • 11. Voir Donald (2017) pour en savoir plus sur le lien entre le pouvoir politique et économique concentré.
  • 12. Voir : www.nytimes.com/2018/02/15/opinion/democracy-inequality-thomas-piketty.html .
  • 13. Scheiber/Cohen (2015).
  • 14. http://prospect.org/article/race-wealth-and-intergenerational-poverty
  • 15. Jean-Pierre Lusiani (2017).
  • 16. Ibid.
  • 17. Oxfam (2018), p. 10 et www.forbes.com/profile/aliko-dangote/?list=billionaires .
  • 18. Oxfam (2018), p. 17.
  • 19. Oxfam (2018), p. 25.
  • 20. ONU Femmes (2018), p. 85.
  • 21. Ibid., p. 153, 167.
  • 22. Ibid., p. 144.
  • 23. Alvaredo et coll. (2017), p. 14.
  • 24. www.theguardian.com/inequality/2017/jul/04/is-inequality-bad-for-the-environment
  • 25. L’Islam (2015).
  • 26. Oxfam (2018), p. 11.
  • 27. Voir IPES-Food (2017) et l’Atlas agroalimentaire complet, publié par la Fondation Heinrich Böll / Fondation Rosa Luxemburg / Les Amis de la Terre Europe (2017).
  • 28. IPES – Alimentation (2017), p. 21 et suivants.
  • 29. Secret (2018).
  • 30. Peetz /Murray Nienhüser (2013).
  • 31. Vitali/Glattfelder/Battiston (2011).
  • 32. http://ir.blackrock.com/file/4048287/Index?KeyFile=1001230787
  • 33. Vila/Peters (2016), p. 12.
  • 34. Voir : https://statusofwomendata.org/women-in-unions/.
  • 35. Voir : http://cepr.net/press-center/press-releases/benefits-of-union-membership-narrow-racial-wage-inequal….
  • 36. Jaumotte / Osorio Buitron (2015).
  • 37. Visser / Hayter/ Gammarano (2015).
  • 38. Alvaredo et coll. (2017), p. 230 et suivants.
  • 39. CELS (2017).
  • 40. www.cels.org.ar/web/2017/07/ciudad-de-buenos-aires-mas-de-4000-personas-estan-en-situacion-de-calle /
  • 41. CELS (2017).
  • 42. Crivelli et coll. (2015), p. 11.
  • 43. Voir par exemple www.cesr.org/factsheet-brazils-human-rights-advances-imperiled-austerity-measures .
  • 44. Ibid.
  • 45. Voir www.brettonwoodsproject.org/2017/09/imf-gender-equality-expenditure-policy / et www.brettonwoodsproject.org/2017/04/imf-gender-equality/.
  • 46. Oxfam (2018), p. 11.
  • 47. Voir par exemple l’article 2 du Pacte international relatif aux Droits économiques, Sociaux et culturels, dans lequel chaque État partie s’engage ” à prendre des mesures, individuellement et par le biais de l’assistance et de la coopération internationales, notamment économiques et techniques, au maximum de ses ressources disponibles, en vue de réaliser progressivement la pleine réalisation des droits reconnus dans le présent Pacte”.
  • 48. Société pour le développement international (2016).
  • 49. Pour en savoir plus sur le rôle que les normes des droits de l’homme peuvent jouer dans l’orientation des efforts visant à lutter contre les inégalités économiques, y compris dans le cadre des efforts de mise en œuvre des ODD, voir Center for Economic and Social Rights (2016).
  • 50. Piketty (2014).
  • 51. Centre des Droits Économiques et Sociaux (2018).
  • 52. www.social-protection.org/gimi/gess/RessourcePDF.action?ressource.ressourceId=54915 . Voir également les projecteurs sur l’ODD 1 dans ce rapport.
  • 53. Voir le chapitre 4 sur ” les systèmes de soins et les ODD : reconquérir les politiques pour la durabilité de la vie ” ci-dessous.
  • 54. Voir également les projecteurs sur l’ODD 16 et l’encadré 1 de ce rapport.
  • 55. Alvaredo et coll. (2017), p. 263 et suiv.
  • 56. www.theguardian.com/commentisfree/2018/jan/27/building-homes-britain-housing-crisis
  • 57. www.abc.es/economia/abci-constitucional-avala-navarra-pueda-expropiar-viviendas-desocupadas-anos-20…

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